L’Envol de Cathlyn

Entre notre monde et celui du jeu Beladriel, une jeune fille incapable de s'aimer dans le monde réel tombe dans les pièges d'une liberté virtuelle
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L’Envol de Cathlyn

Entre notre monde et celui du jeu Beladriel, une jeune fille incapable de s’aimer dans le monde réel tombe dans les pièges d’une liberté virtuelle

Spirale

  • Cathlyn, ce jeu t’a changée! s’inquiéta sa mère.
  • Et alors?! Tu sais ce que ça fait d’être comme ça?! Au moins, dans ce jeu, je suis libre! Je peux être vraiment moi!
  • Chérie… Tu n’as pas besoin de ça pou…
  • POUR QUOI, HEIN?! TU M’EXPLIQUES? hurla-t-elle.

Ses parents sursautèrent et elle le regretta aussitôt, mais il était trop tard. Elle s’enfuit dans sa chambre sans plus un mot, le visage brûlant et les yeux brillants.

Tout avait commencé quand Sarah, sa meilleure amie d’enfance, lui avait parlé de ce jeu, Beladriel, un jeu où elle pouvait incarner un personnage virtuel. Les choses avaient rapidement dérapé. Les quelques minutes par jour devinrent des heures, puis des après-midi. Seuls les besoins naturels de son organisme la tiraient de sa léthargie.

Ils ne comprendront jamais ma douleur. Dans Beladriel, elle était heureuse, libre. Elle volait. Personne ne le lui retirerait.

Sarah ne jouait pas autant qu’elle et elle s’en fichait. Au début, elle se sentait seule sans elle, mais elle avait rencontré ce gars, un homme-chat qui s’appelait Katsuro et qui l’avait aidée dès le début. Ils s’étaient rapidement liés d’amitié, si bien qu’elle jouait le plus souvent avec lui.

Sauf que là, ses parents étaient allés trop loin.

Baptême de l’air

Des semaines auparavant, elle se connectait pour la toute première fois.

Elle regarda autour d’elle pour découvrir son environnement. Elle avait atterri dans une clairière ensoleillée s’ouvrant à travers les arbres vers quelques collines. Elle n’était pas seule à découvrir ce monde à en croire le regard des autres autour d’elle. Il y avait de toutes les races: elfes, humains, nymphes, furries…

Elle-même était un elfe et elle avait choisi son pseudo en s’inspirant de son prénom et de sa bête magique favorite. Ici, elle était Lynh Telidrae, ou juste Lynh. Elle regarda les noms qui flottaient au-dessus des autres et fut satisfaite de son choix. Au moins, elle ne s’appelait pas “Mini Voldevie” ou “Furr Ears”.

  • Salutations, peuple de Beladriel!

Une silhouette venait d’apparaître ce qui les fit tous sursauter. C’était probablement un personnage non joueur, un PNJ, comme Sarah les appelait. Il était humanoïde mais des ailes se dessinaient derrière lui, vaporeuses et blanchâtres.

  • Nous avons besoin de vous pour contrer l’emprise des Chevaliers Dragon et pour cela, vous devez…

Elle n’avait que faire de l’histoire. Elle n’attendait qu’une chose et dut attendre la fin du monologue de cet ange sans âme avant d’affronter le didacticiel. Elle n’était là que pour une seule chose: explorer librement le monde.

Fort heureusement, il ne fallut pas beaucoup plus longtemps avant que leur groupe ne se mette en marche et ne sorte de la clairière. Par un jeu de perspective, ce qu’elle pensait être des collines en face d’eux était en réalité une vallée dominée par un promontoire rocheux sans aucune issue pour descendre.

Ah. Ça commence si tôt? Elle sentit un mélange d’angoisse et d’excitation tournoyer dans son ventre. Elle s’apprêtait à apprendre à voler.

Elle écouta les instructions attentivement, ne voulant pas s’écraser deux cents mètres plus bas, quoiqu’elle ne risquait pas de mourir, pas vraiment. Elle devait d’abord se concentrer et imaginer la présence de protubérances dans son dos. Elle ne put s’empêcher de sourire en voyant ses congénères, qui, tout comme elle, tortillaient leur corps en attendant que les ailes apparaissent. Elle ne put s’empêcher de s’émerveiller de celles des autres, toutes différentes en fonction de la race. Elles étaient translucides mais les formes étaient variées. Celles des nymphes des bois étaient comme des branches feuillues quand celles des humains avaient des plumes d’oiseaux. Elle avait beau gesticuler, elle n’arrivait cependant pas à faire apparaître les siennes.

  • Besoin d’aide? fit une voix calme et masculine derrière elle.

Elle se tourna pour faire face à un être mi-humain, mi-chat qui semblait sourire, bien que ses crocs menaçants la firent douter. Au-dessus de sa tête flottait le pseudo “Katsuro”. Elle acquiesça, désespérée de pouvoir voler.

  • Personnellement, j’ai réussi en imaginant que je volais plutôt qu’en imaginant mes ailes. Sinon, tu peux toujours activer l’assistant de vol.

Grrr. Pourquoi tous ces jeux sont-ils toujours si compliqués…? Elle se concentra à nouveau et, miracle! Elle sentit une sensation dans son dos, pas un poids, plutôt comme si deux bras avaient poussé. Elle se retourna pour les voir avant de se sentir bête car ses ailes toutes fraîches tournèrent elles aussi. Elle réussit finalement à les déplacer devant elle comme en bougeant ses doigts.

Pas mal, ces plumes bleues et pourpres. Un peu cliché, mais bon…

  • Bien joué! sourit le dénommé Katsuro. Il ne te reste plus qu’à sauter.
  • Hein? Quoi? Sauter? s’exclama Lynh.

Et sans même répondre, il sauta lui-même du promontoire rocheux en se retournant théâtralement pour crier:

  • C’est la manière la plus fun d’apprendre à voler!

Au fond d’elle, elle avait peur mais elle ne put nier que l’idée était attrayante. Alors, elle s’avança vers le rebord et s’assura que ses ailes étaient toujours là en les bougeant. Bizarrement, si les faire apparaître était compliqué, les mouvoir était tout à fait naturel. Elle inspira profondément… et sauta.

Ses yeux s’écarquillèrent d’effroi et de jubilation à la fois tandis qu’un cri de joie perçait sa gorge. Elle sentit le vent dans ses cheveux, le poids de son corps chutant comme une pierre, ses ailes battre contre le vent. La sensation était tellement grisante! Elle la savoura comme une bouffée de bonheur envahissant tout son corps avant de réaliser que le sol se faisait de plus en plus proche.

Instinctivement, elle battit ses ailes et se redressa dans un souffle puissant. Elle eut l’impression d’être un ange. Un ange aux longues oreilles pointues et à la peau bleutée. Elle riait aux éclats de son premier vol et survola la forêt en dessous d’elle. Elle était enfin libre.

Mais comme un rappel à la réalité, une notification en bas à gauche de son regard s’afficha pour écrire “Maintenance dans 5 minutes”.

Elle soupira avant de se poser quelque part. Elle savait qu’elle pouvait se déconnecter sans problème. Elle chercha à ajouter Katsuro à ses amis et manqua bien d’être déconnectée avant de réussir.

Quelques instants plus tard, ses yeux s’ouvraient dans la pénombre de sa chambre. Elle se redressa, retira le casque de son jeu et s’apprêta à sortir du lit.

Puis elle se rappela ce qui l’avait menée à ce jeu.

Ses jambes ne bougeaient toujours pas.

Retour à la réalité

Son cœur se serra. Là-bas, elle pouvait voler. Ici, elle ne pouvait même plus marcher.

Au revoir Lynh, Rebonjour Cathlyn, soupira-t-elle. Elle attrapa la rambarde de son lit avant de se hisser dans son fauteuil roulant, les fesses en premier, les jambes après. Elle roula jusqu’à la salle de bain pour se rafraîchir le visage avant de revenir dans sa chambre pour regarder ses messages. Sarah lui en avait envoyé un.

Elles avaient grandi ensemble bien avant l’accident qui lui avait coûté ses jambes. Elles s’étaient connues en primaire alors qu’elle-même pleurait au premier rang, car elle avait oublié de faire ses devoirs. Sarah l’avait consolée en lui proposant de recopier les siens, mais le maître l’avait prise sur le fait. Si elle n’avait pas été punie, cette rencontre avait sonné le début de 20 ans d’amitié.

Les deux étaient pourtant très différentes. Sarah était une gameuse quand elle était une sportive. Sarah était métisse et frisée, elle était pâle et châtain, son amie préférait les chats et elle les chiens… Malgré tout, elles étaient toutes les deux amoureuses des glaces menthe-chocolat, ce qui était bien trouvé puisque Sarah avait les yeux verts et qu’elle-même avait les yeux marron.

Cathlyn, même si elle ne jouait pas, lisait beaucoup. C’était sa manière à elle de s’envoler. D’une certaine manière, cela leur permettait à elle et Sarah d’avoir un monde en commun, elles qui étaient si différentes.

Elle lit le message de cette dernière: “Alors poulette à roulettes, t’en as pensé quoi de ce jeu? :)

Elle détestait ce surnom autant qu’elle l’aimait. Déjà parce que seule Sarah l’appelait comme cela et aussi parce qu’elle ne prenait pas d’inutiles pincettes. Sa réponse ne se fit pas attendre:

  • J’ai adoré! :D T’avais raison, c’est trop chouette de voler!
  • Je te l’avais dit :D renchérit-elle après quelques instants. T’as choisi quelle race?
  • Je suis une elfe de la nuit, madame!
  • Oh comme ma Shasha! T’aurais dû prendre une louve-garou comme moi!

“Shasha”, de son vrai nom Sasha, était la petite sœur de Sarah, mais tout le monde l’appelait ainsi car elle n’arrivait pas à prononcer son prénom quand elle était enfant.

  • Non, continua Cathlyn. Avec leurs ailes ont dirait des gargouilles. Eh pis toi t’es censée aimer les chats, pourquoi t’as pas pris les trucs mi-humains mi-félins?
  • Pfff. C’est surtout des chats-humains et moi je préfère les tigres. En plus dans ce jeu ils servent à rien, ils sont bons qu’à faire de la magie et des bisous guérit-tout. Moi je veux de la castagne!

Elle sourit. C’était du Sarah tout craché.

Elles discutèrent encore quelque peu puis Cathlyn demanda:

  • Tu te connectes ce soir après la maintenance? J’ai fini le didacticiel, je crois. Comme ça on pourra jouer ensemble! En plus c’est compliqué toutes ces commandes et tout… J’ai même galéré à ajouter un joueur en ami.
  • Ooh! Tu t’es déjà fait un copain, petite coquine? J’en attendais pas moins de ma rouquette! Ce soir après mangé, c’est bon pour toi?
  • “Rouquette”? Oui, après manger
  • Roulette+Chouquette = Rouquette
  • Ça n’a même pas de sens!
  • Si, t’es chou quand tu rouspètes.
  • Oouuuuh toi! >_<
  • XoXo

Cathlyn retrouva ses parents, Judith et Pierrick, pour manger dans le salon. Avant, elle était à l’étage et ses parents en bas, mais avec son faut… depuis son accident, elle était en bas. Ça avait été un coup dur pour tout le monde, mais elle était emplie de gratitude envers sa maman et son papa car ils avaient tout fait pour que tout soit le plus simple pour elle. Ils avaient même refait toute la cuisine alors qu’elle venait d’être rénovée. À défaut de pouvoir courir et escalader, elle pouvait cuisiner. C’était déjà ça… probablement.

Elle passa devant un petit buffet au-dessus duquel se trouvait le fantôme d’un cadre photo. Une photo qu’elle n’arrivait plus à voir et qu’elle avait jetée à travers la pièce dans une vague de fureur et de larmes cinq ans auparavant. Sa mère n’avait jamais eu le cœur d’y mettre autre chose et avait finalement passé un coup de peinture par-dessus. Malgré tout, le spectre de ses souvenirs suffisait à raviver des flammes ardentes dans le cœur de Cathlyn.

Ils mangèrent dans le calme et elle ne mentionna pas son jeu. Elle ne voulait pas trop en parler, se demandant quand le plaisir s’envolerait, lui aussi. Cela ne l’empêcha pas de se dépêcher pour retrouver sa chambre et ses jambes.

Elle regarda le drôle d’engin resté sur son lit. C’était un casque qui ressemblait plutôt à une couronne avec une visière. Elle ne comprenait pas tout mais, une fois lancé, son esprit était transporté dans un avatar virtuel qu’elle pouvait contrôler exactement comme elle contrôlait son corps. Enfin, “exactement”…

Cette technologique avait mis du temps à percer et peu de jeux parvenaient à l’exploiter convenablement, en tout cas d’après Sarah. Tant que ça fonctionnait…

Elle se glissa sur son lit en soupirant avant d’enfin enfiler l’objet de ses désirs sans savoir qu’elle s’y perdrait.

Si seulement…

Avant de s’en rendre compte, Cathlyn était tombée dans une spirale sans fin. Beladriel était devenu son échappatoire, le seul refuge où elle pouvait pleinement s’évader sans que ses jambes l’empêchent d’avancer. Elle voulait plonger dans ce monde tout entier et ne plus jamais avoir à tourner les roues de son fauteuil.

Au début, ses parents ne s’étaient pas inquiétés de la situation. Ils étaient heureux que leur fille puisse trouver le bonheur d’une manière ou d’une autre. Elle jouait souvent avec Sarah et Shasha, grandes expertes en matière de jeux-vidéos, ce qui l’avait aidée à devenir indépendante. Les premiers jours, elles se retrouvaient chez l’une et l’autre pour jouer avant de vaquer à d’autres occupations mais Cathlyn refusa de plus en plus, préférant la liberté de Beladriel aux entraves du monde réel. Sarah ne s’était pas rendu compte de la dépendance de son amie tout de suite alors même qu’elle connaissait bien cet état.

Ce fut seulement hier soir qu’elle comprit l’étendue des dégâts quand les parents de son amie l’avaient appelée, impuissants. Elle était venue dès que possible.

  • Chérie, Sarah est là!

Cathlyn s’était calfeutrée dans sa chambre, furieuse. Elle avait une colère monstrueuse en elle. Elle était prête à sauter par la fenêtre pour s’enfuir. Ha! Comme si elle le pouvait… Ses parents avaient jeté son casque la veille pendant qu’elle dormait, d’une manière ou d’une autre, et elle ne quittait plus sa prison, ne parlait plus à personne. Elle avait fouillé toute la maison sans succès. Elle n’était que haine et elle ne pouvait même pas partir. Où pouvait-elle aller, avec ses deux roues, de toute façon?

Elle ne répondit pas à sa mère mais elle entendit les pas de sa meilleure amie avant d’entendre une main toquer. Elle ne répondit pas non plus, ce qui ne la retint pas d’entrer.

Sarah avait fière allure sur ses deux jambes. Elle pouvait les mettre en valeur et les hommes adoraient les regarder. En plus, elle s’était mise au sport sans trop le dire à son amie pour ne pas la blesser mais ses hanches affinées et ses joues moins rondelettes ne pouvaient tromper.

Elle s’assit sur son lit, fit mine de lui chatouiller les jambes. Bien sûr, avec une lésion entre les vertèbres L1 et L5, elle ne risquait pas de le sentir. D’habitude, Sarah faisait ensuite l’araignée pour lui faire de vraies chatouilles sur les côtes mais son regard meurtrier dut l’en dissuader.

  • Poulette…
  • Ne m’appelle pas comme ça!

Sarah baissa les yeux et ses lèvres se serrèrent comme si elle venait de prendre un coup. Elle l’avait blessée. Elle s’en fichait.

  • Qu’est-ce qui ne va pas…?
  • Ça ne se voit pas?

Le silence s’installa et Sarah se leva pour regarder à travers la fenêtre. La fenêtre… Ces dernières heures, elle imaginait voir la forêt qu’elle avait survolée si longtemps auparavant, elle rêvait du vent dans ses cheveux, ses ailes contre son flan. Ses pensées s’envolaient vers Katsuro, aussi. Le manque lui avait fait comprendre ses sentiments à son égard. Elle l’aimait, probablement. Il la trouvait belle, il la voyait comme elle voulait qu’il la voie. Elle pensait que c’était réciproque et elle n’attendait qu’une chose: le retrouver pour le lui dire. Mais après tout, elle ne pouvait pas vivre avec lui dans ce monde, si? Et qu’adviendrait-il de leur relation le jour où ils se rencontreraient en vrai? Il n’y avait aucune chance. Personne ne pouvait aimer un tel légume, même pas elle.

  • J’aimerais être toi…

Les mots sortirent de sa bouche avant qu’elle ne puisse les retenir.

Elle crut voir Sarah se tourner vers elle, mais les larmes dans ses yeux brouillèrent sa vue. Elle sentit une main sur son visage et dans ses cheveux puis Sarah baissa la rambarde qui la protégeait des chutes avant de s’asseoir contre elle.

  • Cathlyn…
  • Si seulement… sa voix se bloqua.

Elle pleura. Elle pleura une rage ardente noyée dans un torrent de chagrin. Sarah remonta vers son oreiller en murmurant “Viens-là, poulette”, avant de la prendre dans ses bras et de poser sa tête sur ses genoux.

Sarah était silencieuse, Cathlyn sanglotait. Elle se contentait de lui caresser les cheveux comme à un enfant et ne fit rien remarquer de la tache humide sur son jean qui s’élargissait à mesure qu’elle laissait toutes ses émotions se déverser.

Lorsque les couinements de la jeune fille s’espacèrent, son amie murmura:

  • Si seulement tu te voyais comme je te vois, Cathlyn…
  • Comment… ça?
  • Tu es belle comme tu es.
  • C’est facile à dire pour toi, tu peux courir, les hommes te regardent…

Un rire nerveux s’échappa de Sarah ce qui fronça les sourcils de Cathlyn, interrogatrice.

  • Regarde-moi, choupette! De nous deux, c’est toi la jolie sportive. En plus, les hommes regardent mes formes, pas mon cœur.
  • Tu peux au moins en faire, du sport, rétorqua-t-elle du tac au tac, regrettant à peine son venin.
  • Toi aussi, tu peux, répondit son amie en gardant sa douceur.
  • Ah ouais, et comment?!

Elle s’était redressée sur les coudes tant bien que mal, ses jambes suivant à peine le mouvement de ses hanches.

  • Regarde-moi! Je fais comment? s’énerva-t-elle en indiquant ses jambes. Tu te rappelles quand je devais faire le tour du monde d’escalade? Hein? Je fais comment maintenant pour aller à Ko Lao Liang et Ton Sai?! Tu m’expliques?!

Sarah ouvrit la bouche comme pour répondre, mais la ferma aussitôt.

  • C’est bien ce que je pensais.
  • Tu te trompes, soupira-t-elle.

Son visage était fermé. Elle se leva et ouvrit son sac qu’elle avait posé contre le bureau situé en face du lit. Elle en sortit…

  • Mon casque! ragea-t-elle. C’est toi qui l’avais depuis tout ce temps!

Elle était de nouveau furieuse. Elle voulut frapper son amie. “Amie”, vraiment?!

  • J’aimerais tellement que tu puisses t’aimer, Cathlyn.
  • J’aimerais tellement que tu quittes ma vie, Sarah.

Le coup fut critique et toucha Sarah en plein cœur. Elle écarquilla les yeux de douleur, bégaya sans pouvoir répondre et finit par fermer la bouche à nouveau.

Elle déposa le casque sur le meuble, prit son sac et sortit en lâchant d’une voix brisée:

  • Ton handicap ne te définit pas, Cathlyn.

La porte claqua.

Ne reviens jamais…

Katsuro

Elle n’avait pas attendu dix secondes avant de saut… rouler vers son casque. Elle espérait que son ami y serait et elle était sûre que Sarah, elle, n’y serait pas.

  • Coucou jolie jeune fille! 

Toute la colère accumulée s’envola.

  • Comment peux-tu savoir que je suis une fille, hum?
  • Tu as oublié que nous ne pouvons pas changer de sexe, dans ce jeu.
  • Oh! Tiens donc? Et qui te dit que je suis jeune et jolie?
  • Tu marques un point. Après tout, toutes les elfes sont belles.
  • Héhé.

Ils se retrouvèrent quelques minutes plus tard pour se balader.

Bien malgré elle, elle avait beaucoup progressé dans Beladriel, plus que poussée par Katsuro que l’expérience ajouterait à la magie du vol.

Et il avait raison.

À présent, elle traversait les nuages, volait plus vite que le plus rapide des oiseaux et elle aimait particulièrement se laisser tomber dans le vide lorsqu’elle était tout en haut, juste pour sentir tout son corps résister au vent sous ses pirouettes. Tout. Son. Corps.

Ils réalisèrent quelques quêtes quelques heures tout en se baladant avant que Katsuro ne se tourne vers elle en fin de journée:

  • Lynh, ça te dirait d’aller à la Tour d’Argent?
  • Hein? Tu veux dire le donjon où il faut quarante personnes pour arriver tout en haut et que ça n’arrive qu’une fois toutes les lunes bleues?
  • Oui, celui-là même!
  • Ah non! Tu veux pas plutôt que l’on aille sauter du haut des Falaises de Shor?
  • Et si je te disais que quarante personnes ont passé 48H à ouvrir la voie vers le sommet de la Tour d’Argent et qu’à présent celle-ci était en libre accès jusqu’à ce que les Chevaliers Dragon ne prennent le contrôle à nouveau? fit Katsuro d’un regard malicieux.
  • C’est pas vrai?! s’exclama Lynh.
  • Et si!

Elle ne put s’empêcher d’être tout excitée. La Tour d’Argent était réputée être l’endroit le plus haut et le plus beau de Beladriel mais aussi le plus inaccessible. C’était une opportunité très rare.

Il ne leur fallut pas beaucoup plus longtemps avant d’arriver en bas de la tour qui s’élevait bien plus haut que la nuque ne permettait de voir.

  • Je connais un raccourci! lança-t-il en la prenant par la main.

Elle frissonna de ce contact. Elle décida qu’elle lui avouerait ses sentiments une fois arrivés en haut. Après tout, ce serait le meilleur moment, non? Ce serait romantique en haut d’un tel lieu, non?

Il la mena vers une salle annexe à l’entrée dont le sol était recouvert de runes magiques. Il la tira à lui avant d’incanter une formule qui les propulsa à travers les étages de la Tour d’Argent. Sans le vouloir, elle se recroquevilla contre lui en prétextant avoir peur de tomber. Il resserra sa prise. Ils arrivèrent quelques instants plus tard dans un “wooooh” provoqué par l’appel d’air avant de mettre de nouveau pied à terre.

La pièce s’ouvrait sur un ciel aux étoiles scintillantes où quelques joueurs se prélassaient les yeux dans le vide. Lynh fut étonnée de ne pas en voir davantage mais ne s’en plaignit pas non plus. Après tout, ce serait plus intime, non?

Ils trouvèrent un coin reculé avec une vue formidable sur la mer au loin et s’assirent côte à côte. Elle se dit que c’était maintenant ou jamais.

Black Fang vient de se connecter.

Une notification venait de perturber l’instant.

Sarah.

Sarah venait de se connecter.

Elle l’ignora mais son désarroi dut se voir sur son visage car Katsuro lui demanda:

  • Tout va bien?
  • Oui, oui…
  • Tu es sûre?
  • Je crois…
  • Tu peux tout me dire, tu sais? rassura-t-il en lui caressant le dos.

À quoi bon lui mentir, après tout? Non, elle n’allait pas bien. Elle était heureuse de pouvoir jouer, de voir Katsuro. Mais Sarah… Sarah l’avait trahie. Elle avait comme un trou béant dans le ventre et ne savait comment le refermer.

  • Je… Tu te rappelles mon amie Sarah, Black Fang…?
  • La louve-garou?
  • Oui… On ne se parle plus…
  • Oh… qu’est-ce qui s’est passé?
  • Comment dire… non… oublie. Je préfère ne pas en parler, finalement.

Comment dire “on ne se parle plus, car elle m’a empêché de jouer?” Pour elle, ce n’était pas ridicule car Sarah était censée savoir ce que représentait Beladriel à ses yeux. Beladriel était ses jambes, ses ailes. Ce monde était sa liberté, le seul remède contre cette vie qu’elle subissait, contre ses rêves perdus. Et Sarah avait voulu lui retirer tout cela. Mais Katsuro, lui, ne le savait pas. Il ne savait pas qu’elle était handicapée.

  • Lynh…?

Sa voix était étrange. Elle se tourna vers lui pour mieux le regarder.

  • Ça te dirait que l’on se rencontre… en vrai?

Oh non. Ses yeux s’écarquillèrent, elle recula, paniquée. Non. Non non non non non! Bien sûr, son ami ne comprit pas du tout et son comportement la surprit tant qu’il ajouta en battant des mains:

  • Enfin, c’était juste une idée! On peut aussi juste jouer ensemble, hein…
  • Je…

Elle cherchait les mots. Elle devait lui expliquer. Elle devait lui dire.

  • J’aime bien quand… on joue ensemble, tu sais? peina-t-elle. J’ai l’impression d’être moi eh puis tu es si gentil, si attentionné…
  • Mais…? douta-t-il, légèrement en retrait, comme se préparant à l’attaque.
  • Je suis pas aussi belle, en vrai, tu sais?
  • Je suis sûr que si, dit-il confiant.
  • Et comment?
  • L’instinct.
  • L’instinct…? Ça veut rien dire…

Elle devait le lui dire.

  • Il faut que je te dise… commença-t-elle.

Toute son attention était portée sur elle comme s’il n’y avait qu’elle. Cela la fit frissonner.

  • Je suis paraplégique.

Ça y est.

Elle l’avait dit.

Maintenant il allait se lever, au moins reculer ou même se déconnecter.

Non?

Non. Au lieu de cela, il éclata de rire.

  • Je vois pas ce qu’il y a de drôle! s’énerva-t-elle en se levant brusquement ce qui attira les regards à eux.
  • Excuse-moi, Lynh, s’arrêta-t-il soudain en présentant ses paumes-coussinets. Je ne me moque pas de toi.
  • Ah ouais? Alors pourquoi tu rigoles?!
  • Parce que tu es bête, dit-il en souriant.

Elle ne s’attendait pas à ça, si bien que sa bouche resta entre-ouverte. Il lui fit mine de s’asseoir.

  • Je ne t’ai jamais parlé de mon petit frère, si? commença-t-il.
  • Non… répondit-elle honteuse car elle ne savait même pas qu’il en avait un.

Il se tourna vers le ciel, les yeux dans le vague.

  • Mon petit frère, c’est un casse-cou. Je dis petit, mais c’est mon frère jumeau, il est juste arrivé en deuxième! Quand on était petit, on allait souvent à la mer pour sauter de roche en roche au bord de l’eau, on grimpait aux arbres, on faisait n’importe quoi! gloussa-t-il. Moi j’avais la plupart du temps un peu peur. J’étais le plus sérieux des deux, tu vois? Mais je le suivais toujours, je me disais qu’il ne pouvait rien nous arriver.

Il s’arrêta, le regard triste. Elle passa une main derrière son épaule, réconfortante. Cette histoire lui rappelait tant son adolescence avec Sarah…

  • Un jour, alors que l’on était en pleine forêt, il décida de grimper un arbre comme les autres. Moi, j’étais fatigué car on avait passé la journée à faire n’importe quoi mais lui ne manquait pas d’énergie. Alors je l’ai laissé faire…

Son souffle était plus fort, plus profond. Les souvenirs étaient visiblement durs pour lui.

  • Tu vois, il y avait eu un orage la veille, presque un déluge. Le sol était encore gorgé d’eau.

Ses mains-pattes se serrèrent en poings et elle en prit une entre ses mains. Elle sentit le relief que ses griffes avaient laissé dans sa peau. Ce jeu est-il vraiment un jeu…?

  • L’arbre s’est déraciné alors que mon petit frère était plusieurs mètres au-dessus du vide. Ses vertèbres thoraciques ne l’ont pas supporté. Il a fini paralysé des pieds au nombril.

Lynh inspira d’effroi, sa main à sa bouche et les larmes aux yeux. Elle se rappelait son propre accident, une éternité auparavant. Elle essaya de fuir les souvenirs mais ce soir, ils étaient trop fort. Le pire jour de sa vie revint la hanter.

Elle en pleine nature à plusieurs mètres au-dessus du vide. Elle qui rate une prise effritée par la pluie. Elle qui chute sans pouvoir rien n’y faire. Un inconnu qui avait enlevé son crash pad par mégarde. Ses vertèbres qui se brisent sur une souche d’arbre. Ce médecin qui lui annonce qu’elle serait paralysée à vie mais “qu’elle avait été chanceuse”.

Elle qui avait perdu ses rêves.

  • Tu sais le plus fort, dans cette histoire, Lynh? reprit-il avec un sourire triste, en coin.
  • Non…?
  • C’est que ce fou ne s’est pas arrêté. Il n’a pas laissé son handicap l’arrêter.
  • Comment…?

Comment se remettre de ça, hein? Comment continuer sa vie quand on a perdu ses rêves…?

  • Il continue de grimper partout où il va. À défaut d’utiliser ses jambes, il utilise ses bras. Il n’a pas laissé son handicap définir sa vie. Il travaille plus que tout le monde. Maintenant, plus personne ne peut le battre au bras de fer! sourit-il fièrement, les yeux brillants.

Cathlyn se rappela alors les derniers mots de Sarah: “Ton handicap ne te définit pas, Cathlyn”. Elle ne put empêcher une larme de couler sur son visage, puis une autre et encore une autre.

  • Cette amie, c’est à cause de ça que vous ne vous parlez plus…? demanda-t-il en se rapprochant d’elle.
  • Je…, peina-t-elle.

Elle resta silencieuse un moment avant d’inspirer et de répondre:

  • Ici, je peux voler. Là-bas, dans le monde réel, je ne peux même pas marcher. Elle a voulu m’empêcher de voler. Elle a conspiré avec mes parents pour que j’arrête de jouer.
  • Oh, je vois… Mais elle t’a rendu ton casque, non?
  • Elle m’a trahie.

Est-ce qu’elle m’a vraiment trahie, finalement…? Elle se rappela leur altercation avec douleur:

  • Je fais comment maintenant pour aller à Ko Lao Liang et Ton Sai?! Tu m’expliques?!
  • C’est bien ce que je pensais.
  • Tu te trompes, soupira-t-elle.

Est-ce que c’est ça que tu voulais me dire, Sarah…? Est-ce que tu voulais me dire que mes jambes ne m’empêcheraient pas de réaliser mes rêves…?

  • Je suis sûr qu’elle ne veut que t’aider, murmura Katsuro, comme tes parents. Je suis sûr qu’ils aimeraient que tu t’aimes comme ils t’aiment.

L’homme-chat avait raison. Elle le savait au fond d’elle-même. Elle se sentit terriblement honteuse. J’aimerais que tu quittes ma vie, Sarah, avait-elle dit avec fureur. Pauvre Sarah, ses yeux, son regard abattu, sa voix blanche…

  • Je dois la retrouver et m’excuser, finit-elle par admettre, les yeux baissés.
  • N’attends pas.
  • Et dire que tu m’avais emmené à la Tour d’Argent…
  • Tu ne m’aimes pas vraiment, tu sais?

Coup par surprise. Hein?

  • Tu aimes l’image de toi qu’il y a dans mes yeux, Lynh. C’est tout.
  • Je ne… euh… Hein? bégaya-t-elle, son cerveau incapable de traiter l’information.
  • Allez, va la retrouver. Je suis sûr qu’elle n’attend que ça.

Elle acquiesça, décida de laisser ses questions pour plus tard. Au moment de se déconnecter, Katsuro ajouta:

  • À la prochaine, poulette.

L’Envol

Elle ouvrit les yeux quelques instants plus tard sans relever les derniers mots de son ami.

Elle se hissa dans son fauteuil avec ferveur avant de quitter sa chambre sans attendre. Je devrais probablement prendre une douche, pensa-t-elle mais elle n’avait pas le temps. Elle avait trois choses importantes à faire ce soir.

Elle devait réparer ce qu’elle avait brisé, à commencer par le cœur de ses parents.

  • Maman… commença-t-elle en arrivant dans le salon, la voix éraillée.

Sa mère se tourna brusquement comme si un fantôme avait parlé, ce qui n’était pas bien loin de la vérité. Cathlyn était là, au milieu de la pièce les yeux gonflés, les joues rouges, le corps rachitique après tant de semaines à jouer. Judith quitta son fauteuil pour se précipiter vers sa fille.

  • Pierrick! appela-t-elle, inquiète, alors que son père bouquinait en haut.

Il arriva rapidement. Ils étaient tous les deux là, auprès d’elle. Après toute la colère qu’elle avait déversée sur eux, ses parents ne l’avaient pas abandonnée.

  • Je… suis… sanglota-t-elle sans pouvoir retenir de nouvelles larmes.
  • Nous savons ma chérie, glissa Judith en la prenant dans les bras, de même que son père. Nous savons.

Ils restèrent là, dans une embrassade qu’elle attendait depuis si longtemps, sans le savoir. Elle avait oublié l’importance de ses parents dans sa vie. Elle avait oublié que sa maman était son épaule quand il y avait de l’orage, que son père était la voix de la raison quand elle avait peur de l’avenir.

Ils restèrent ainsi jusqu’à ce que les joues de Cathlyn retrouvent leur pâleur.

  • Il y a quelqu’un que tu dois aller voir aussi, n’est-ce pas, petit chimpanzé? murmura son père en lui tirant la joue.

Elle rigola autant qu’elle pleura à la mention de ce surnom tout droit sortie de sa passion. Il avait raison.

  • Je t’emmène, d’accord?
  • Non… hésita-t-elle. Non. Je veux y aller toute seule, dit-elle plus sûre.

Ses parents n’insistèrent pas par respect pour son choix mais sa mère la taquina en lui conseillant quand même de se rafraîchir avant de partir.

Peu de temps plus tard, elle était dans la rue faiblement éclairée à savourer un air qu’elle avait depuis bien longtemps oublié. Ses roues tremblaient sur les pavés du trottoir, elle ignora ce poteau mal placé qu’elle avait si souvent insulté, apprécia la brise dans ses cheveux qu’elle n’avait alors jamais appréciée.

Le trajet jusqu’à chez Sarah n’était que d’un petit kilomètre mais ses bras à présent osseux peinaient à tourner les roues de son fauteuil. Elle ne ralentit pas pour autant.

Elle vit une silhouette au loin en train de courir. Sarah..? Elle ne l’avait probablement pas vu car elle traversa ensuite le jardin qui menait à sa maison.

  • Sarah! cria-t-elle.

La silhouette s’arrêta nette et sembla retirer un écouteur de ses oreilles avant de se tourner vers elle.

  • Cathlyn! répondit-elle avec surprise et inquiétude. Que fais-tu là?

Son amie arriva en courant pour la trouver sous un lampadaire faiblard. C’est cliché, sourit-elle intérieurement. Elle leva les yeux vers le visage de Sarah, rose après l’effort. Cathlyn sembla y lire de la colère aussi.

  • Je… commença-t-elle.

Ses yeux fuirent et sa voix manqua se briser mais elle tint bon. Elle devait le dire.

  • Je suis désolé de t’avoir demandé de quitter ma vie. Je ne veux pas que tu quittes ma vie. Je veux que tu sois toujours à mes côtés et que tu continues de me faire rire et de m’appeler “poulette à roulettes”.

Les mots sortirent naturellement, bien plus naturellement que ce qu’elle avait imaginé durant tout ce kilomètre.

Sarah ne répondit pas. Le silence s’installa.

Lourdement.

Puis, elle s’assit sur le trottoir, obligeant son amie à pivoter légèrement. Elle n’était pas énervée. Elle était triste.

  • Moi aussi, je suis désolé, Cathlyn. Je suis désolé de t’avoir menti mais je ne savais plus quoi faire.

La jeune fille ne répondit pas, préférant la laisser s’ouvrir comme elle l’avait laissée parler.

  • Je t’ai trahie quand je t’ai montré ce jeu, quand je t’ai laissée devenir accro, quand je t’ai laissée tomber. Je ne savais plus quoi faire. Je voulais juste que tu te voies comme je te vois, tu sais? Comme ma Cathlyn à moi, toute pimpante sur ses deux roues. Je voulais te retrouver comme quand on était ado et que tu courrais partout en rigolant. Je voulais que tu t’aimes comme moi je t’aime, Cathlyn.

Elle leva les yeux vers Cathlyn et quand la menthe croisa le chocolat, des larmes coulèrent sur leurs joues.

  • Mais, par-dessus tout, je suis désolé d’avoir…
  • Fais semblant d’être un chat-humain? compléta Cathlyn un sourire malicieux sur ses lèvres humides, à la grande surprise de la jeune métisse qui fit les yeux ronds.
  • Je… Com…?
  • C’est grâce à toi, tout cela. Je comprends pourquoi tu l’as fait, à présent.

Toujours assise par terre, Sarah enfouit sa tête dans les jambes de Cathlyn qui vint lui caresser les cheveux.

Cette dernière avait mis du temps avant de connecter tous les points et de comprendre comment son amie avait pu réaliser un tel exploit. Il lui aura fallu un kilomètre pour résoudre l’énigme.

L’élément le plus compliqué et pourtant si simple fut de savoir comment Sarah avait pu être à deux endroits différents. Après tout, lors de sa dernière rencontre avec Katsuro, Sarah s’était connectée, non? En plus, ils avaient souvent joué ensemble, tous les trois. Mais ils n’avaient jamais joué ensemble tous les quatre. Tous les quatre avec Shasha. Sans le savoir, Lynh avait joué des semaines parfois avec Sarah, parfois avec Shasha, les deux se partageant le compte de Katsuro pour que Black Fang puisse aussi se connecter. Elle n’avait rien remarqué, jusqu’à ce que les derniers mots de Katsuro ne reviennent à elle: “À plus tard, poulette“. À partir de là, elle était remontée jusqu’à ses paroles concernant son handicap mais aussi la gaffe concernant le casque. En effet, elle ne lui avait pas dit que Sarah lui avait pris son casque et pourtant, il avait dit “elle t’a rendu ton casque, non?”.

  • Viens-là, Katsuro, ria-t-elle en tirant son amie vers elle.

Sarah gloussa derrière ses larmes avant de se lever et d’enlacer son amie, qui ajouta:

  • Tu avais raison, les chats-humains ne sont bons qu’à faire de la magie et des bisous guérit-tout.

Les deux rirent de plus belle avant de s’écarter l’une de l’autre.

Il se faisait tard, aussi Sarah proposa-t-elle de la pousser jusqu’à la maison. Jamais Cathlyn n’avait accepté d’être ainsi traitée mais ce soir, non, maintenant, elle était prête à accepter ses jambes et ses roues.

Elles se quittèrent sur le perron après une embrassade pleine de tendresse et Cathlyn regarda la silhouette de son amie disparaître dans la nuit au pas de course.

Ses parents l’accueillirent sans poser de question. Elle avait tout le temps de leur raconter, après tout, et elle était épuisée. Cependant, elle avait une dernière faveur à demander à ses parents avant de se coucher. Ils n’hésitèrent pas une seconde avant d’accepter et ils se retrouvèrent tous les trois devant le spectre de ses souvenirs.

Le mur au dessus du petit buffet.

Dans les mains de sa mère, un cadre photo au verre réparé. Sur cette photo, Cathlyn et Sarah, en plein saut dans les airs depuis un rocher à plusieurs mètres au-dessus de la mer, quelques mois avant l’accident qui changerait sa vie à jamais.

D’un hochement de tête de leur fille, Judith et Pierrick la tinrent avec précaution pour l’aider à raccrocher elle-même le cadre sur le mur.

Je n’ai plus besoin de tes ailes pour m’envoler, Lynh, sourit-elle, de nouveaux rêves plein la tête.

Pierre-A

Pierre-A

Jeune aventurier perdu entre digital et fantasy. Derrière cette description douteuse se cache un écrivain en quête d'évasion et un web-analyst hyperactif. Derrière cette deuxième description douteuse, juste un grand enfant comme les autres, fougueux et créatif.