Djúpalónssandur – Il y aura encore plus beau après
Sur la côte Ouest de l’Islande se cache une plage au sable sans lumière, une plage dominée par des falaises timides où une seule pierre suffit à ouvrir la voie vers un panorama bouleversant.
Chemin
A l’abris des regards des moins téméraires, il existe un endroit d’exception. Je n’aurais jamais dû le voir.
Nous sommes en fin de journée, je suis épuisé d’avoir tant roulé. Je suis arrivé la veille sur cette île appelée “Iceland”, pour décourager les explorateurs, et j’ai soif de découvertes et d’aventures. Mais j’ai bel et bien roulé toute la journée, quelques centaines de kilomètres. Je regarde néanmoins ma carte. Un énième point, vraiment? Très bien…
Voilà ma petite folie: préparer un voyage exceptionnel en essayant de voir le moins possible pour ne pas me gâcher la surprise. Je les vois, tous ces noms, toutes ces “choses à faire” et pourtant, je tente de me préserver en évitant toutes les photos. Je ne veux pas que mon imagination prenne le dessus sur mes sens.
Je décide toute de même d’aller le voir, ce point. Cette décision, je ne le saurai que plus tard, fut l’une des meilleures de ce voyage.
J’emprunte un chemin enneigé, étriqué. Je suis bien téméraire avec ma petite voiture bien ridicule face à tous ces SUVs. Pourtant, je l’aime, ma Swift, car elle a tout d’une guerrière. Elle a beau être basse, cracher un peu dans les montées, elle rivalise avec les plus grandes, montée sur ses quatre roues motrices aux pneus cloutés.
Arrêtés sur quelques places en bord de route, les voyageurs s’extasient devant le spectacle de l’Islande en hiver: de la neige à perte de vue, un relief sans relief, un tableau épuré, presque monochrome. Chacun y va de sa photo, de son sourire, de son selfie et en cette fin de journée, tout le monde est probablement dans le même état que moi: éreinté.
Je continue mon chemin néanmoins. A en croire ma carte et le chemin encore praticable, il reste devant moi une poignée de kilomètres avant d’arriver à destination. Je m’interroge, pourtant, d’être le seul à le suivre, ce chemin, si loin quand les voitures se font plus rares.
Je me sens l’âme d’un aventurier pourtant, j’accélère et me lance dans la poudreuse avec la conviction peut-être divine que tout ira bien. Je prends plaisir à suivre le sillon de la route petit à petit moins creusé, je dérape gentiment dans la neige mais continue quand même.
Un peu trop confiant peut-être, me voilà presque bloqué quelques mètres plus loin et je comprends alors pourquoi je suis tout seul. Courageux et téméraire. Si seulement ma partenaire à moteur était plus haute! Je continue encore. Tout ira bien.
Je me retrouve alors seul sur ce chemin, plus aucune voiture ne circule sinon moi. Je sais cependant être encore dans mon droit et je m’arrête seulement quelques mètres plus loin, sur un parking en bord de neige.
Poudreuse
Épuisé mais gourmand de paysage, je récupère mon manteau, mon écharpe et mon appareil photo avant de me lancer à la poursuite de l’inconnu, une fois de plus. Le froid est mordant et je commence à m’y habituer, presque l’apprécier. A partir de là, il n’y a plus de chemin délimité, juste de la neige dans laquelle je m’enfonce jusqu’aux mollets en riant. Oups. Ne jamais faire confiance à ce qui se trame sous nos pieds!
Très rapidement, je vois les premiers coups de pinceau d’un tableau qui me ravi. Celui de la mer.
Je grimpe quelques pierres et me retrouve face à elle mais surtout, face à une plage, en contrebas. Une plage très particulière de par la couleur de son lit: elle est d’un noir sans lumière et seul le blanc de la neige vient rehausser sa couleur. Cette plage, presque crique, se courbe devant mes yeux et m’accueille à bras ouverts comme une amante.
Je n’ai pas beaucoup de temps, cependant. En plus d’être fatigué, je dois trouver mon hébergement du soir… Je vois donc une roche un peu plus loin et décide que je m’arrêterai sur elle avant de rebrousser chemin.
Je franchis les dernières mètres avec l’entrain d’un enfant à l’approche de la boulangerie et arrive fièrement à destination.
Je n’étais pas prêt.
Non.
Je n’étais pas prêt à la vision qui s’est alors offerte à moi. Dans ma gorge, mon souffle se coupe et je crois même sentir mon cœur rater un battement.
Toile de Maître
Je suis face à l’infini. L’infini de la mer comme je l’aime. Perché en haut de cette falaise timide, je suis comme sur le toit du monde. C’est à mes pieds que se découvre pourtant l’objet de mon souffle saccadé.
Difficile de dire à quoi ressemblait cet endroit des millénaires plus tôt, avant que l’eau ne vienne creuser la roche. Aujourd’hui, pourtant, la falaise est bordée par de petits lacs en harmonie avec la mer qu’une tour de roche surplombe sans gêne.
De mes yeux, j’essaie de capturer le plus d’images de cet instant. Je suis à plusieurs mètres au-dessus du monde aquatique d’Islande, cette plage au sable atypique et recouverte de neige m’appelle à la fouler. Je ne peux décrocher mon regard de ces bassins plus bas. Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi.
C’est un tout, un cadre.
Le ciel s’est verticalement divisé entre passé et futur. Le passé est encore éblouissant, la lumière perce les nuages. Le futur, pourtant, est plus lugubre, presque orageux. Sous les esquisses du temps, un horizon de mer et de ciel qui se confondent d’un trait pourtant franc.
Je ne veux pas partir et pourtant, je le dois. Mon cœur est chamboulé et je n’ai senti cela qu’une seule fois dans ma vie, une éternité plus tôt. Un seul endroit au monde m’a provoqué un tel amour, un tel coup de foudre. Et là, je vis actuellement le deuxième. Qui pourrait alors abandonner une telle contemplation, une telle histoire?
Je me rappelle mes propres dires, si longtemps auparavant: “Il y aura encore plus beau après”. Oui, ce panorama est bel et bien à la hauteur de ce que je chéris le plus au monde. Governor’s Rock, Killarney, Irlande. Je l’ai quitté, cet endroit, après l’avoir si peu contemplé car j’avais pour conviction “qu’il y aurait encore plus beau après”.
Il m’aura fallu quatre ans pour être emporté de nouveau.
Je ne sais comment quitter cette toile. J’ai peur. Je prends des photos avec mon téléphone, avec mon appareil mais je sais pertinemment que je serai incapable de capturer une telle beauté sans l’insulter. Alors je murmure quelques mots au vent, un poème improvisé, une lettre d’amour. Je l’oublie rapidement car celle-ci n’appartient qu’à ce seul instant.
Je sais qu’une fois sur le départ, s’il me venait l’idée de me retourner, je resterais. A jamais, peut-être?
Je descends alors, une boule dans le ventre. Je ne comprends pas cette émotion. Après tout, je ne l’ai ressentie qu’une fois, si longtemps auparavant que je ne m’en rappelle plus…
Bien malgré moi, je me retourne.
Protectrice de ses secrets, la colline que j’avais gravie pour rejoindre mon rocher s’était refermée sur l’objet de mes désirs.
Il y aura encore plus beau après.