Le Kraken de Pierre – Voyage dans les sables du temps
Toujours la même île déserte, toujours le même chemin et pourtant, chaque tentative est une chance de plus d’en apprendre sur lui-même
Réveille-toi
Il ouvrit les yeux avec espoir.
Avant d’être ici, il était en train de flotter dans l’inconnu, ou peut-être de tomber? Ce qu’il savait, c’est qu’il ne faisait rien d’autre. Il attendait et voyait défiler des fragments de sa vie, attendait que la lumière ne perce le voile de sa mélancolie.
Mais aujourd’hui était-il enfin sorti de sa stase pour une nouvelle tentative.
Il arriva sur cette île au sable fin et d’or qui lui éblouissait les yeux. Les alentours étaient vides si ce n’était pour des reliques enterrées.
Il se dirigea vers la première à sa droite: une peluche rongée par le temps, un bras déchiré et perdu. Il la contempla quelques instants avant de rejoindre une lettre ensablée, puis un caillou en forme de cœur, un bateau de papier, une mèche de cheveux… Chacune traçait un chemin dans les grains du temps, un chemin menant à deux massifs rocheux que des arbres dominaient.
Il savait pertinemment jusqu’où ces objets l’emmenaient et il ne lui fallut pas longtemps pour y arriver, ou peut-être une éternité? Le temps n’existait pas ici.
En arrivant près de la roche, il vit la mousse dans les crevasses et les filaments d’eau qui s’enfuyaient. Il contourna un énième objet avant d’enfin voir l’entrée que les deux massifs dessinaient.
Il ne put ignorer ce qui s’y trouvait.
Pour la première fois, elle était là tel un mirage, assise sur ses pattes arrières, le regard vers le ciel.
Dahlia. Son amie de toujours.
Il l’avait accueillie dans sa vie quand il n’était lui-même qu’un enfant. Elle était toute mignonne, son pelage d’ombre et ses yeux pétillants, ses jappements et ses sauts comme une allégorie parfaite du bonheur, son bonheur.
Il arriva à sa hauteur, se pencha la main tendue pour la caresser mais quand ses doigts effleurèrent le pli entre ses oreilles, elle tomba en poussière pour ne laisser qu’un douloureux vide. Abattu, il tomba à genoux, tentant vainement d’agripper son amie devenue amas de sable. De chaudes larmes vinrent se mélanger à sa nostalgie alors qu’il l’enlaçait comme quand elle n’était qu’un chiot.
Il se ressaisit pourtant. Il devait avancer.
L’énigme de l’entrée de pierre
Il dépassa les restes de Dahlia et s’avança dans l’enclave qu’une chute d’eau éclaboussait. Il marcha derrière elle et arriva dans un tunnel de pierre qui sentait la mousse et la terre et qui débouchait sur une clairière.
La première fois qu’il était arrivait jusque là, après toutes les impasses qui l’avaient projeté dans le vide, il avait poussé un cri d’effroi.
Devant lui se trouvait une gigantesque statue représentant un kraken dont les dizaines de tentacules de pierre envahissaient la clairière comme autant de racines d’arbre. Pourtant, il n’avait plus peur. Il le connaissait bien.
Il suivit les membranes grisâtres menant jusqu’à un escalier qu’il gravit pour ensuite arriver à une porte qui disparut quand il n’était plus qu’à quelques marches. Elle fut remplacée par deux trous béants laissant apparaître deux monstrueux yeux injectés d’encre et de sang.
Il attendit patiemment. Le kraken, qu’il imaginait être Cthulhu, daigna enfin faire raisonner sa voix profonde:
- Bienvenue à toi, voyageur. Tu t’apprêtes à pénétrer dans le domaine des ombres, au bout duquel tu trouveras ce qui compte le plus à tes yeux. Si tu veux entrer, il te faut répondre à une seule et unique question.
Il inspira lentement. Il était prêt.
- Qui est ton meilleur ami?
La réponse était à présent évidente!
- Dahlia! répondit-il confiant.
- Une fois de plus, tu as faux, voyageur.
- Non! Attendez! cria-t-il alors, c’est impossible!
- Tu n’es pas prêt.
Et les yeux de pierre se refermèrent, tout comme ses propres paupières.
Dernière tentative
Retour à la case départ, une fois de plus. Il ne savait pas combien de temps cela avait duré. Il ne le savait jamais. Il savait à peine combien de fois il s’était retrouvé ici après d’innombrables échecs. Chaque tentative était un échec, chaque échec un retour dans les limbes de ses souvenirs, des souvenirs qui le grignotaient de l’intérieur. Mais chaque tentative était une chance d’avancer et de se libérer.
Alors, quand la lumière l’aveugla de nouveau et l’eau vint le rafraîchir, il reprit espoir. La peluche dans le sable lui indiqua le chemin qui le mènerait jusqu’à Dahlia.
Son échec précédent avait rythmé ses pas. Rien n’était apparu après Dahlia, rien d’autre que la chute d’eau à son détour. Il n’avait pas tenté de la caresser cette fois-ci, si bien qu’elle était postée derrière lui à surveiller ses arrières.
Las, il s’assit face à la chute d’eau, pensif.
Si Dahlia n’était pas sa meilleure amie, sa peluche Macaron quand il était petit, ni aucune des personnes que son passé avait mis sur son chemin, qui cela pouvait-il bien être, à la fin?!
Cette maudite pieuvre de pierre lui posait toujours la même question depuis qu’il l’avait découverte. Quelle importance?! Ne pouvait-elle tout simplement pas le laisser passer?! N’avait-il pas assez subit ce vide intemporel, ce sentiment de solitude oppres…
Une pensée germa dans son esprit plus rapidement que l’eau qui s’écoulait en face de lui.
Il sauta sur ses pieds à la seconde où elle finit d’éclore et se rua derrière la chute d’eau à travers le tunnel humide, longea les tentacules de pierre avant de monter les marches trois par trois.
Les yeux du kraken s’ouvrir alors qu’il ne lui restait que quelques marches.
- Bienvenue à toi, voyageur. Tu t’apprêtes à pénétrer dans le domaine des ombres, au bout duquel tu trouveras ce qui compte le plus à tes yeux. Si tu veux entrer, il te faut répondre à une seule et unique question. Qui est ton meilleur ami?
La réponse qu’il cherchait n’était pas dans le temps, dans les fragments de ses souvenirs ni même dans quoique ce soit qui existait. Toute cette vie avait-il couru après des chimères pour lui venir en aide sans comprendre l’essentiel.
Au moment où il ouvrit sa bouche, son ventre fut parcouru d’une vague de fraîcheur qui monta jusqu’à son cœur et ses yeux. Sa voix ne s’était pas faite entendre que devant lui, le kraken de pierre commençait à bouger.
Ses yeux n’avaient pas disparu et la porte n’était toujours pas visible. Pourtant, tout autour de lui, les tentacules rocheuses s’agitèrent comme si elles cherchaient à le faire avancer.
Il ne bougea pas des marches de peur de rompre le charme ce qui ne l’empêcha pas de lâcher un souffle de surprise lorsque devant ses yeux, l’entre du kraken se découvrit.
- Je vois en toi, voyageur. Tu ne seras plus jamais seul.
Les dernières marches furent comme des nuages qui le menèrent à un gouffre dans lequel il plongea sans hésiter ni regarder en arrière.