Laugarvatn – Aventure Matinale à flanc de falaise
Parfois, nous nous lançons des défis bêtes et sans grande conséquence avant de réaliser que nous partons pour une aventure mémorable
Un éclat de folie
Une petite aventure Islandaise…
Voyager seul est une opportunité de s’ouvrir aux autres, d’écouter des histoires et d’en raconter.
Ma route Islandaise m’a mené jusqu’à Laugarvatn, un hameau de 200 habitants où j’ai séjourné une première nuit. J’étais arrivé en début de soirée dans une auberge parfaitement calme où seules quelques chambres étaient occupées.
Je me suis très rapidement entendu avec celle qui m’accueillit ce jour là et nous avons donc passé la soirée ensemble à discuter au comptoir de l’accueil.
Elle s’appelait Rigita et vivait en Islande depuis 7 ans maintenant, après avoir quitté sa famille en Lituanie. Il s’agissait avant tout d’un travail saisonnier mais, au fil des années, elle avait fini par s’installer dans ce petit village en bord de lacs.
Le lendemain, je devais partir en excursion pour quelques jours à Kerlingarfjöll, au centre de l’Islande, et n’avais donc rien de prévu jusqu’à 14h; j’en ai donc profité pour lui demander conseil.
“Tu n’as qu’à gravir la montagne en face!”
Oh?
Rigita me montre alors quelques photos sur son téléphone et je vois ce même village pour ainsi dire vu du ciel, les lacs brillants sous le soleil estival. Elle me rassure également, me disant qu’elle n’était pas très sportive mais qu’elle n’avait pas trop de difficultés à faire cette randonnée. Selon elle, il faudrait compter 2-3h en tout.
Easy peasy, lemon squeezy.
J’ai trouvé mon défi matinal: admirer le lever du soleil du haut de la montagne! Et repartir avec quelques photos en passant…
Debout, aventurier
6h00. Pas besoin de réveil, l’excitation (ou l’appréhension?) suffit à ouvrir mes yeux.
Je suis un aventurier organisé et optimiste. Le soleil se lève à 8h30 et il me faut donc être en haut de la montagne à 8h #YouNeverKnow. Je compte 1h30 pour la gravir et je dois donc partir aux alentours de 6h30. Je me prépare tranquillement tout en sachant que le temps m’est compté. Ma prochaine aventure commence certes à 14h, je dois rendre les clés de ma chambre à 10h. Et parce que je m’apprête à suer dans tous les sens, j’ai intérêt de prévoir le temps de me doucher. Je dois donc être de retour à 9h30 maximum, tout en espérant pouvoir négocier un départ plus tardif (spoiler alert: ce sera un échec. Rigita n’était pas là).
Donc si on résume: départ à 6h30, arrivée estimée à 8h, redescente à partir de 8h30, arrivée à 9h30, départ à 10h.
Lol. Pauvre fou. Tu ne sais pas ce qui t’attend!
Dehors, il fait nuit noire, pas un lampadaire d’allumé et la lune est absente. J’ai heureusement prévu ma lampe frontale. Nous serons deux pour ce baptême de rando enneigée!
Je sors et suis le chemin peu confiant. Sur ce type de parcours, Google n’est pas là pour te dire “allez tout droit”. Alors je prends à droite car il me semblait qu’il s’agissait du chemin indiqué par Rigita. Inutile de dire que j’ai perdu 5 minutes car, eh bien, un chemin était juste en face de l’auberge!
Bon. Le chemin n’est que faiblement délimité: quelques poteaux réfléchissants et, surtout, des traces de pas. Je suis mon instinct et prends donc la route avec ardeur et énergie. Le parcours est facile, me dis-je: tant que je monte, tout ira bien!
Alors oui. Mais non.
Poteaux, sauvez-moi!
Mon but est clair, précis et motivant: arriver en haut de la montagne avant que le soleil ne se lève. Alors, tant que mes jambes me portent, j’avance sans rechigner et je m’arrête à peine quand elles commencent à chauffer.
Je suis un chemin de neige piétinée, quelques poteaux, tout en sachant que je suis seul dans la nuit nue. Aucun bruit si ce n’est celui de mes pas s’enfonçant dans la neige et ma respiration toujours plus forte.
Non. Il y a le vacarme du vent, aussi. Mon pire ennemi.
Dehors, les températures sont négatives. Je suis équipé comme il faut, entre parka, sous-vêtements thermiques, sous-gants et moufles (j’apprendrai bien plus tard que les moufles sont plus efficaces sans les sous-gants!).
J’avance, je monte, m’enfonce inlassablement et m’effraie de voir de moins en moins de poteaux.
Ces poteaux, ce sont mes anges gardiens. Sans eux, je sais certes qu’il me faut monter, je ne sais pas quel est le chemin le plus sûr. Et par les Originels! Il n’y a pas de route clairement délimitée. Oh non.
Je quitte peu à peu la neige pour me retrouver sur la roche, ce qui fait que je perds mon premier guide: les traces de pas. Mon deuxième guide disparaît lui aussi quelques mètres plus loin. Je ne panique pas pour autant. Je dois monter. Je me retrouve à monter à flanc de roche et, si je ne panique pas, la frustration me prend! Je dois me dépêcher coûte que coûte, mon temps est compté.
Je continue durant de longues minutes avant que ma lampe frontale ne capte une bande réfléchissante.
OUI. Je suis sauvé!
Enfin, pour un temps seulement.
C’est pas passé loin…
Je continue ma montée sans perdre mon ardeur. Cela ne fait que 45 minutes (maybe?), mes jambes me portent toujours et le froid mordant ne me rafraîchit plus. C’est là que les choses commencent à se gâter.
Il n’y a plus aucun arbre autour de moi pouvant couper le vent, aucune protection naturelle. Je me prends le vent Islandais de plein fouet et, histoire que le défi soit total, je marche contre lui ce qui fait que chacun de mes pas est dangereux.
Je gambade à flanc de montagne sans crampons ni bâtons, sur un sol rocheux où la neige n’est pas suffisante pour m’éviter le pire et je suis seul dans une nuit sans lune. Une tension commence à serrer mon ventre mais je ne ferai pas marche arrière. L’excitation n’en est que plus belle et l’aventure plus palpitante. Je continue de marcher jusqu’à ce que deux chemins s’offrent à moi.
A droite, le chemin de neige, plus court mais plus raide.
A gauche, le chemin de roche, plus long mais plus prudent.
Et au loin, le ciel qui commence à se teinter d’ocre. Le temps presse. Je prends le chemin de neige et monte avec ferveur.
Mon pied dérape. Puis l’autre.
Ce n’était pas de le neige.
Je réussis tant bien que mal à me stabiliser en plantant mes chaussures mais me voilà au milieu d’un mélange de neige et de glace avec, à plusieurs mètres en-dessous, la roche qui m’appelle, menaçante. Je n’ai pas le choix.
Je ne peux pas monter au risque de glisser et je ne peux pas redescendre en toute sécurité.
Je fais ce que mon instinct me dit: quitte à tomber, autant contrôler la chute!
Je lâche ma position, glisse une poignée de mètres interminables durant lesquels je prie pour que le choc entre la roche et ma cheville ne signe pas la fin de ce voyage.
Je me fracasse contre la roche avec suffisamment de violence pour qu’un oiseau s’envole au loin. Miraculeusement, tout va bien. Je rigole nerveusement et reprends mon chemin vers celui de roche.
A compter de maintenant, je comprends que la neige n’est plus mon amie.
Le jour se lève
Le vent est d’autant plus puissant que mon corps s’affaiblit mais la couleur du ciel me rappelle mon défi. Je n’ose plus m’arrêter pour respirer, je monte inlassablement.
Oh, un poteau! Si ce seulement tu avais été là tout à l’heure… Il me faudra plusieurs dizaines de minutes encore avant de sentir le sol devenir plat.
Enfin.
Un sentiment de libération m’étreint alors. Il ne me reste plus qu’à trouver un spot pour m’installer, prendre quelques photos, mon p’tit dej et profiter du soleil levant.
Après tout ce qui vient de se passer, j’ai l’impression de m’envoler sur la roche. Le vent semble avoir jugé mes efforts suffisants pour devenir mon allié et m’aider à avancer.
Il est 8h20 quand j’arrive à destination. Je respire enfin, mon corps se relâche.
Je sors mon Sony pour capturer cet instant mais je suis un piètre photographe dans de telles circonstances. Je ne gère pas bien cette lumière faiblarde et ce vent puissant. Je ne suis pas fier de ce que je fais.
Mais je suis fier du chemin parcouru pour y arriver.
Redescente pressante
Je n’ai pas le temps de me reposer pour autant. Je dois être de retour à l’auberge pour 9h30.
Je revois des poteaux avant de les perdre de nouveau. Dans mon empressement, je ne me rends pas compte que la roche n’est plus mon amie.
Si elle était solide et stable durant la montée, elle est de ce côté friable et glissante. Je ne l’apprends que trop tard, quand mon pied dérape et que je glisse plusieurs mètres avant de me fracasser de nouveau contre elle.
Décidément.
J’en profite pour perdre une moufle que je retrouve heureusement quelques mètres plus bas. Je continue ma descente et m’enfonce enfin dans la poudreuse. Jusqu’aux genoux.
Je n’en ai cure et suis même heureux! Je m’élance comme un gamin et saute dedans tout en descendant. Je suis aux anges! Le plus dur est derrière moi à présent et la seule chose à faire est de profiter du paysage, non sans me presser un peu. Je m’arrête seulement quelques mètres plus bas sur une table de pique-nique pour prendre quelques photos à nouveau et respirer après cette longue descente. Les aiguilles du temps ne sont toujours pas à l’arrêt et les derniers mètres sont encore à faire.
J’arriverai enfin à 9h30 à l’auberge, épuisé et trempé jusqu’aux genoux. A 10h, j’étais fraîchement prêt pour ma prochaine épopée.
Ce jour là, je n’aurai profité du lever solaire qu’une dizaine de minutes et j’aurai passé 3h à le conquérir. Pourtant, je repars avec bien plus que des clichés manqués, des jambes en feu et des moments de frayeur.
Je repars avec la joie et la fierté d’un enfant ayant accompli son défi ainsi qu’avec une aventure que je ne suis pas prêt d’oublier.