Légendes d’Hebenelia – La Forêt des Mille Pétales
Il existerait, cachée quelque part dans un coin reculé d’Hebenelia, une forêt faite d’ombres et de couleurs, une forêt où les fleurs ne dévoileraient leurs pétales que durant les nuits de pleine lune…
Au coin du feu
Les enfants se blottissaient près du feu pour écouter leur petite histoire du soir. Leur grand-père était toujours très bavard après son verre de Nacre qu’il prenait toujours à la même heure, le même jour, dans le même fauteuil.
Le soleil était depuis longtemps couché, la lune bien au frais derrière eux et leur grand-père, sous sa moustache torsadée, se préparait pour sa première gorgée.
- Vous ai-je déjà raconté la légende de la Forêt des Mille Pétales? commença-t-il le verre à la main.
Les enfants, qui pourtant écoutaient goulûment les paroles de leur ancien, n’avaient jamais entendu cette histoire au nom doux comme la rosée du matin.
Appréciateur de leurs grands yeux avides, leur conteur s’installa plus confortablement encore avant de tremper ses lèvres, sa moustache même, dans son breuvage limpide. Il en ressortit le sourire au lèvre et la moustache humide.
- Préparez-vous mes enfants, dit-il, car l’histoire qui suit n’est pas pour les âmes fragiles.
Plus curieux qu’apeurés, les trois marmots tendirent l’oreille et attendirent le début de cette légende bien amenée.
- C’était un soir d’automne, bien avant que ce monde ne vous connaisse, bien avant que moi-même je ne naisse. Les habitants des Grandes Terres et ceux des Plateaux se querellaient pour un bout de forêt traversée par l’eau. Des centenaires durant, ce conflit attira les fureurs des deux peuples sans jamais être apaisé par le temps. Les Grandes Terres se défendaient que cette forêt, qui les séparait de leurs rivaux de toujours, leur avait depuis le début appartenu et que c’était grâce aux mains habiles de leur fondateur que le premier roseau avait pu voir le jour. Les Plateaux quant à eux affirmaient que c’était à son propre frère que ce vile mercenaire avait volé les secrets sylvestres, déclenchant toute cette affaire.
Une nouvelle gorgée assura que ça ne bouche ne pût s’assécher.
- Conflit après conflit, escarmouche après escarmouche, aucun camp ne semblait l’emporter. Tout changea, lorsque sous une épée, la femme du chef des Plateaux se vida de son sang sous les yeux de son mari désespéré.
Avec de grands gestes, le vieil homme se lança dans une grande tirade possédée:
- Par les Originels! s’écria-t-il. Je vous décimerai, je vous éviscérerai, peuple de malheur! Que sous mon courroux il ne reste plus rien de vous, que sous mes sabots votre dernier souffle vous donnerez! Moi, Voslin Arbre-Saint, Chaman Suprême, jure par le sang de mes ancêtres que pour l’éternité vous hanterez cette forêt!
De ses grands gestes effraya-t-il ses petits-enfants qui de peur se resserrèrent plus encore.
- Les Grandes Terres ne virent pas ce qui les frappa. De rage, de fureur, de chagrin, Voslin Arbre-Saint déchaîna bel et bien sa colère, sur ses assaillants comme sur les siens. Personne ne put contrôler la férocité du Chaman Suprême qui, d’une incantation, fit taire des centenaires de guerre.
D’une pause, il s’assura que son audience était toujours à l’écoute, une audience qui ne pouvait décrocher son regard. Son verre toujours dans la main, il se pencha et continua, bien plus bas:
- Depuis ce jour, sous la pleine lune et seulement elle, de rouges fleurs la Forêt des Mille Pétales se recouvre. Il est dit que sous chacune de ses fleurs se cache une âme perdue, qu’elle soit des Grandes Terres ou des Plateaux, guerriers ou guerrières sans aucune distinction. Il est dit aussi que quand la lune redevient timide, les cris de rage de Voslin Arbre-Saint nous vrillent les tympans, que la pluie qui coule alors sur la terre n’est autre que les larmes du Grand Chef devenu solitaire.