Songe Musicale
Au milieu de son paysage idéal, un jeune homme se réveille avec l’espoir futile de ne jamais revenir chez lui mais une apparition fera voler son rêve en éclats.
Cordes torsadées
Petite suggestion musicale…
Les cordes métalliques d’une guitare acoustique percèrent le voile de ses rêves jusqu’à lever ses paupières qu’il retint.
Il ne se rappelait pas avoir déjà entendu cette mélodie et pourtant elle était là, à raisonner autour de lui sans pour autant le déranger, plutôt l’envouter. Un beat profond se leva alors et son coeur battit en rythme.
Le matelas sous son dos n’était pas celui de son canapé. Il était moelleux mais pas trop et il avait la place pour tendre ses jambes et ses bras comme si le sol entier était un lit. Enfin, c’est ce qu’il se dit même s’il ne s’agissait probablement que d’un lit double.
Il ne voulut pas ouvrir les yeux. Il eut l’impression que s’il le faisait, cet instant volé disparaîtrait, la musique s’arrêterait et il se réveillerait dans un monde à nouveau sans saveur et sans avenir.
Sa curiosité prit pourtant le pas sur sa peur et il finit par laisser ses paupières s’ouvrir. Sa rétine capta alors les formes d’un balcon bordant une nuit étoilée qu’une voie lactée venait éclabousser.
Où suis-je…?
À l’oreille, il s’était persuadé être dans un studio d’enregistrement. Comment la musique pouvait-elle avoir une telle profondeur autrement, une telle rondeur…?
Cette dernière semblait provenir de nulle part et de partout à la fois, comme si elle n’était en réalité que dans sa tête. Il ne savait pas non plus ce qu’il faisait là. Il ne connaissait pas cet endroit. Et pourtant… Il eut l’impression d’être à la maison, un sentiment qu’il n’avait jamais connu jusqu’alors.
Plutôt qu’un lit double, il s’était en fait redressé sur une grande banquette remplie d’oreillers. En détaillant la scène autour de lui, il fut surpris par tous les détails qui le confortaient dans son sentiment. Quelques ampoules à la chaude et douce lumière éclairaient une façade de bois sombre aux reliefs noueux. De la façade, son regard glissa vers la rambarde du balcon et le mena jusqu’à une guitare aux cordes de cuivre. Une hummingbird, hein…? devina-t-il en regardant le pickguard fleuri habité par un papillon et un colibri.
Il la prit entre ses mains et apprécia la force que dégageait son bois sous ses doigts. Lorsque ses doigts commencèrent une danse en arpège, des couleurs chatoyantes s’échappèrent de l’instrument ce qui le stoppa d’étonnement. Il resta figé en plein mouvement quelques instants, les yeux écarquillés, avant de lentement laisser ses doigts se balader sur les cordes torsadées, hésitant.
Des filets de lumières s’échappèrent à nouveau à mesure que sa main glissait sur le manche. Il ne s’arrêta pas cette fois-ci, enchanté par ces rayons aux formes de rubans bleus, jaunes, verts, comme des aurores boréales une froide nuit d’hiver.
Il était enchanté. Il se dit que ce rêve qu’il vivait était le plus beau jour de sa vie. Quelle magie, quelle providence, l’avait menée jusqu’à ce balcon? Il sifflota une mélodie qui fit dodeliner sa tête et lui fit perdre toute notion de temps également. Il joua ainsi une timide éternité avant de déposer l’objet de son envoutement contre la rambarde de bois, à regret.
Toujours sur la banquette mais au bord de celle-ci, il se leva pour faire quelques pas sur le balcon. Il savoura le craquement des lattes sous ses pieds et eut l’impression d’être sur un ponton, prêt à se lancer en pleine mer. Une porte-fenêtre s’étendait tout le long de sa chambre céleste mais des rideaux opaques l’empêchaient de voir à l’intérieur. Un petit vent vint ébouriffer ses longs cheveux et un froissement de pages sous le vent le fit se retourner.
Étrange… Je ne me rappelle pas avoir vu une table en me levant.
Il s’approcha de celle-ci et s’aperçut qu’elle était remplie de livres en tout genre et de partitions qu’il ne reconnaissait pas. Il en fredonna une ou deux avant de s’intéresser au voile nocturne qui s’offrait à lui. La nuit n’était éclairée que par les étoiles mais il percevait la forme des immeubles qui se dessinaient sous ses yeux, sans pouvoir pleinement les capter.
Il s’en fichait et préféra s’accouder la rambarde pour apprécier le silence de la nuit, seulement percé par une nouvelle mélodie inconnue. Il savoura cet instant tout simplement parfait.
Le plus parfait de toute sa vie.
Pourvu que ce rêve s’éternise et qu’il ne se réveille plus jamais sur ce canapé.
Voile de silence
Il était retourné s’allonger sur la banquette à admirer les étoiles défiler au-dessus de lui. Depuis combien d’heures vivait-il cet instant? Le ciel se mouvait et pourtant le soleil restait couché. C’était mieux ainsi…
Alors qu’il appréciait cette éternité, un claquement perça le silence ce qui le fit se redresser subitement.
Il pensa instinctivement à une voile face au vent mais, quand il en trouva la source, il n’en était rien.
Il se retrouva face à une robe.
Une robe faite d’une rivière d’or et d’onyx tant les motifs se mouvaient sur le tissu.
Une robe portée par une femme flottant comme la brume entre la baie vitrée et la rambarde.
- Bienvenue, Lúcio, commença-t-elle d’une voix mélodieuse. Bienvenue chez toi.
Sa surprise redoubla et il recula en titubant. Dans sa précipitation, il tomba à la renverse sur la banquette et balança des oreillers en direction de cette apparition pour s’en protéger.
Les oreillers la traversèrent.
D’effroi, il recula encore et se cogna contre la façade dans un bruit sourd qui fit tourner sa tête.
- Tout va bien, Lúcio, tu n’as rien à craindre.
Il en douta et à la peur son visage laisse place à la colère quand il répondit:
- Qui êtes-vous?! Que faites-vous ici?!
- Et toi, Lúcio, que fais-tu ici?
Il se rappela alors qu’il devait être dans un rêve. Un rêve aux saveurs de paradis. Il n’avait rien à craindre.
Il se calma mais ne bougea pas pour autant du fond de la banquette.
- Je suis Galynée, reprit l’apparition, Gardienne du Songe. Tu es là aujourd’hui car tu as en toi ce qu’il faut pour protéger l’équilibre entre l’ombre et la lumière.
- Je… Hein?
- Tu vis actuellement ton Songe, comme tous ceux choisis pour devenir des Gardiens d’Hebenelia et de la Terre.
- Que… De…? butta-t-il.
La forme qui s’appelait Galynée n’avait pas bougé autrement que pour flotter. Pourquoi ce rêve devait-il s’arrêter…? pensa-t-il à regret.
- Tout prendra sens à ton réveil, Lúcio.
L’apparition devint plus translucide et il paniqua. Non non non…!
- Attendez! Ne partez pas! cria-t-il en se ruant vers elle.
L’instant d’après, elle disparaissait.
L’instant d’après, il se réveillait en sueur et essoufflé.
S’il avait eu le choix, il aurait refusé d’ouvrir les yeux pour ne pas voir où il était. Il les referma aussitôt et tenta de rattraper les bribes de cet idéal onirique comme l’on attrape l’eau. Il fronça les yeux pour réimaginer ce balcon, cette guitare, ce ciel…
Il sentit soudain un objet dans son poing serré ce qui lui fit lever les paupières.
Il était à nouveau sur son canapé. Pourtant, quand il décolla ses doigts avec hésitation et empressement, le souffle court, il replongea dans son rêve.
Entre les lignes de sa main, une petite perle roulait délicement avec en son coeur un minuscule univers représentant un balcon fait d’étoiles, de bois et de musique.
Ce rêve n’était-il pas un simple rêve…? Un Gardien d’Hebenelia, hein…?